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Comment élaborer des contenus d’enseignement?

Evitons l’enseignement de masse!
À première vue, cette question peut paraître anodine. Comme enseignant, notre première idée sera peut-être d’aller regarder dans les manuels scolaires qui correspondent au sujet et au niveau d’étude enseignés. En effet, on trouve souvent l’inspiration dans les manuels scolaires populaires pour aider à structurer notre enseignement. Il y a un certain sentiment de sécurité à suivre une trace pédagogique linéaire bien définie. De plus, un examen minutieux des objectifs d’apprentissage fixés par le département, par l’institution ou encore par l’état doit aussi être fait pour s’assurer que l’apprentissage des étudiants correspond aux attentes des autorités éducatives. Mais la question reste, comment le contenu d’apprentissage est-il défini? En fonction de quels besoins? Est-ce les politiques éducatives qui dirigent la rédaction de ceux-ci dans le but de répondre à des besoins de sociétés? Ou, à l’inverse, est-ce les autorités politiques et/ou économiques qui structurent les curricula? Comment les éditeurs de manuels scolaires influencent l’élaboration des objectifs d’apprentissage?
Le contenu: le parent pauvre des réformes
Roger-François Gauthier, auteur du livre “Les contenus de l’enseignement secondaire dans le monde : état des lieux et choix stratégiques” publié par l’UNESCO en 2006, souligne le fait que le contenu est le parent pauvre des réformes éducatives. On s’attarde volontiers à la révision des approches pédagogiques ou des moyens technologiques, mais on ne se préoccupe guère du contenu. Pourquoi le contenu mérite un tel désintérêt? Il y a souvent des enjeux politiques, économiques, sociaux ou scientifiques qui alourdissent et ralentissent le changement des contenus enseignés. Il y a des savoirs qui nous semblent évidents à enseigner. Par exemple, il ne nous viendrait pas à l’idée de remettre en question l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et à compter au niveau de l’élémentaire. Toutefois, au niveau secondaire, postsecondaire et universitaire, cette définition se complexifie quelque peu. FR Gauthier présente comme exemples la question de l’initiation aux sciences ou aux langues secondes. Quel est le meilleur moment et quel niveau de complexité devons-nous atteindre avec les apprenants? Que signifie l’expression “connaissances de base” en biologie ou tout autre sujet?
Enseigner des faits ou des concepts?

Figure 1: Taxonomie de Bloom. Source: Par Blooms_rose.svg: K. Aainsqatsiderivative work: PatrickHetu — Ce fichier est dérivé de Blooms rose.svg:, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=25219597
Depuis quelque temps, il y a un débat dans l’enseignement de la biologie qui tend à distinguer les connaissances factuelles et conceptuelles (Wood 2008) et à définir les connaissances de base à enseigner (Bauerle et al. 2011). Carl Wieman (sa bibliographie est disponible ici), qui s’implique ardemment dans la promotion de l’enseignement des sciences, définit le terme concept (ou connaissance conceptuelle) comme étant une idée qui peut être appliquée dans divers contextes pour expliquer et prédire un aboutissement (Wood 2008). Toutefois, la limite entre les faits et les concepts est souvent difficilement définissable. De cette dichotomie des connaissances, on s’étend vers la taxonomie des connaissances proposée par Bloom (Crowe et al. 2008). Cette taxonomie consiste à classifier les connaissances en fonction du niveau d’acquisition (Figure 1, extraite de Wikipédia). Selon ce classement (voir la description sur l’encyclopédie Wikipédia), l’idéal serait d’enseigner des savoirs qui amènent l’apprenant à développer des capacités d’analyse, de développement et de critique.
Le contenu est évolutif et faillible
Les institutions scolaires n’agissent pas seules. Leurs actions sont dépendantes des contextes sociaux, politiques, technologiques ou scientifiques donnés. Par exemple, on considère de plus en plus important d’intégrer les plus récents développements en sciences de la vie tels que la technologie CRISPR-Cas9 ou la médecine personnalisée par l’intermédiaire du séquençage génomique. Toutefois, des pressions sociales ou politiques dans certains milieux font que l’on retarde l’intégration de ces savoirs nouveaux dans les curricula, car ils ne correspondent tout simplement pas aux idéologies du moment. Encore aujourd’hui, l’enseignement de l’évolution est parfois contesté malgré l’accumulation de faits scientifiques démontrant son influence majeure sur les développements biologiques (article 1, article 2, article 3) (ici un article intéressant sur les sondages mesurant l’acceptation et la croyance des processus évolutifs). De plus, il y a toujours des questions de limite de temps pour enseigner toutes ces connaissances, de la capacité des apprenants à tout retenir et de la pertinence d’enseigner le plus de connaissances possible. Il y a nécessairement des savoirs qui devront sauter pour faire place aux nouvelles connaissances. Comment et qui désigne qu’une connaissance soit désuète ou non? En fonction de quel besoin? Parallèlement, il faut éviter d’instaurer cette tendance au “zapping” dans l’enseignement. En effet, les connaissances à enseigner doivent être les plus durables possible, mais tout en respectant le principe fondamental de la nature de la science, qu’elle est évolutive et faillible. Je reviens souvent à cette idée de besoin, dont l’évaluation et l’analyse sont souvent mises aux oubliettes, car elle demande du temps et un important niveau d’engagement pour diagnostiquer des problèmes authentiques. Elle est toutefois importante pour la définition d’un contenu d’enseignement.
Comme une histoire
Le contenu d’un cours ou d’un curriculum devrait s’écouler comme la lecture d’un bon polar, c’est-à-dire que tous les morceaux de l’histoire sont subtilement connectés les uns aux autres et à la fin de la lecture, on se dit, “eh bien, je ne m’attendais pas ça”. La tendance dans l’enseignement des sciences est de présenter et d’évaluer des connaissances de manières plutôt isolées, séparées par des chapitres qui font office de contenants hermétiques. Par exemple, le thème de l’évolution est souvent présenté dans un chapitre particulier, faisant peu référence à son influence sur les molécules ou sur les principes de thermodynamiques qui régissent les systèmes vivants, thèmes souvent abordés dans les premiers chapitres des manuels scolaires. Toutefois, dans l’apprentissage de la biologie, l’étudiant devrait comprendre que tous les processus biologiques ont été structurés par des mouvements évolutifs (“Nothing in biology makes sense except in the light of evolution“) (Dobzhansky 1973). Le “eh bien, je ne m’attendais pas à ça” devrait donc correspondre au développement d’une vision de l’ensemble des connaissances, rassemblant tous les morceaux entre eux.
Finalement, comment élabore-t-on le contenu?
Une étape importante pour structurer le contenu d’un cours est de définir les besoins en enseignement. Il est nécessaire de repérer les savoirs qui sont souhaitables d’enseigner permettant de construire un réseau de connaissances transférables dans divers contextes. Cela peut être fait via la distribution de sondages distribués auprès de différents acteurs impliqués de près ou de loin tels que les enseignants, les autorités éducatives, les étudiants, les acteurs, le secteur industriel et professionnel, etc. Cela prend du temps, ouvre bien des débats et demande un certain niveau de conciliation et de résignation. Ensuite, bien évidemment, la fiabilité et la validité des connaissances à enseigner doivent avoir été démontrées (cela peut prendre un certain temps, lire cet article sur le délai de la transposition didactique). Évaluer les contextes sociaux et politiques est aussi recommandé pour enseigner des savoirs qui ont du sens avec la conjoncture du moment. La relevance des savoirs scientifiques a souvent été montrée importante pour stimuler la motivation d’apprendre qui conduit à une compréhension authentique (Stuckey et al. 2013; McFarlane 2013). Concrètement pour l’enseignant, cela peut commencer en répondant à ces questions: quel est l’état de connaissances actuel des apprenants (les préconceptions), quelle est la situation souhaitée et quels sont les moyens possibles pour réduire la distance entre celles-ci (Watkins & Kaufman 1996)? L’approche pré/post-test en utilisant des questionnaires à choix multiples appelés “inventaire de concepts” permet de diagnostiquer rapidement les idées reçues ou les incompréhensions. Ainsi, on peut explicitement orienter notre enseignement pour résoudre les savoirs mal compris, tout en répondant aux besoins éducationnels préalablement diagnostiqués par une évaluation et une analyse de besoins.
Une question d’humilité
“Il est donc indispensable que la démarche d’évaluation des contenus enseignée telle qu’elle est proposée ici en début de processus crée en réalité une attitude générale d’humilité consistant à remettre non pas par exception, mais de façon banale son ouvrage sur le métier.” (p. 132)
Voici une citation de RF Gauthier, qui selon moi, fait une belle conclusion à mon billet (j’ai un léger manque d’inspiration!). Le contenu d’enseignement est avant tout le sujet de notre humilité; de notre capacité à reconnaitre les limites de nos connaissances et à agir pour sortir de notre zone de confort.
Références
Bauerle, C. et al., 2011. Vision and change in biology undergraduate education: A Call to Action. C. A. Brewer & D. Smith, eds., Washington, DC: American Association for the Advencement of Science.
Crowe, A., Dirks, C. & Wenderoth, M.P., 2008. Biology in bloom: implementing Bloom’s taxonomy to enhance student learning in biology. CBE—Life Sciences Education, 7, pp.368–381.
Dobzhansky, T., 1973. Nothing in biology makes sense except in the light of evolution. American Biology Teacher, 35(3), pp.125–129.
Stuckey, M. et al., 2013. The meaning of “relevance” in science education and its implications for the science curriculum. Studies in Science Education, 49(1), pp.1–34.
Watkins, R. & Kaufman, R., 1996. An Update on Relating Needs Assessment and Needs Analysis. Performance Improvement, pp.10–14.
Wood, W.B., 2008. Teaching concepts versus facts in developmental biology. CBE-Life Science Education, 7(1), pp.10–11.